samedi 21 juin 2008

Greatest things I've heard but I didn't get a word -des rougets en été-

J'ai oublié son prénom, moi qui ai pourtant une mémoire si précise pour cela. Elle habitait dans le Kent, elle avait une petite soeur. Elle n'a jamais voulu envoyer de photos mais je crois que son physique m'importait peu, je l'imaginais avec des cheveux châtain clair, attachés en queue de cheval lâche ou en tresse fluide les jours où elle en aurait eu le courage.
Elle avait une écriture absolument britannique et envoyait de longues lettres sur du papier ligné. A Pâques, des cartes avec des petits lapins, pour la saint Valentin, des confettis de coeurs s'échappaient de l'enveloppe, à Noël, je recevais souvent des petits cahiers colorés, soigneusement emballés. A ma demande, elle avait aussi scrupuleusement compulsé les magazines de cuisine de sa mère et en avait arraché quelques pages en douce pour m'apprendre à faire du triffle et un gâteau roulé à la confiture. Elle aimait les poèmes de W.B. Yeats.
Quelques mois avant que notre correspondance s'interrompe définitivement pour des raisons qui me paraissent obscures, elle m'avait envoyé une cassette avec des chansons qu'elle avait enregistrées sur un petit poste, dans sa chambre. Elle avait écrit toutes les paroles, ça parlait de garçons qui s'en vont et de filles qui ne dorment plus. Je n'avais pas tout compris.
Elle s'appelait K., elle habitait en Allemagne. C'était une grande fille blonde au physique athlétique et chacun était charmé par son sourire à fossettes et son regard clair. Elle habitait seule avec sa mère et leur chat.
Elle écrivait sur du papier gris recyclé qu'elle décorait aux feutres, elle dessinait souvent une bordure de fleurs. Elle aimait beaucoup les animaux, et grignoter des carottes. Comme j'ai toujours eu un allemand très précaire, j'écrivais en anglais, et elle aussi. Elle m'envoyait des calendriers de l'avent, des chiens en peluche et des autocollants pour les vitres, en forme de lune et d'étoiles.
Un jour, je venais à peine de commencer mes études, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de nouvelles, je reçus une enveloppe blanche, un peu rigide. A l'intérieur, il y avait une photo de K. aux côtés d'un garçon sans âge, aimant visiblement la bonne chère, son crâne était un peu dégarni; je n'ai pas reconnu K. tout de suite, je ne l'avais jamais imaginée dans une robe de mariée.
M. vivait en Australie, c'était un garçon très sérieux, passionné par les sciences et l'informatique. Je n'avais jamais grand chose à lui raconter et nos échanges comportaient souvent un long paragraphe d'introduction essentiellement composé d'informations atmosphériques. Les timbres australiens étaient toujours très jolis, il avait une nette préférence pour ceux avec de petits animaux. Comme je savais que mes amours adolescentes ne le passionneraient que peu, j'essayais de commenter la marche du monde, mais je crois que ça ne l'intéressait pas non plus. Un jour, pour me faire plaisir (nous étions décidément très polis), il me recopia avec application la recette d'un pavlova aux fruits exotiques et celle de petits gâteaux au chocolat que j'imaginais avoir une texture approchante de celle des brownies.
Je n'ai plus de correspondants à l'étranger mais j'aime toujours autant le charme désuet des enveloppes épaisses, les feuilles que l'on déplie, ce moment où l'on reconnaît une écriture qui nous est chère et quand, en lisant les premières lignes, on croit entendre une voix aimée.
Pour les soirs d'été où vous repensez à votre adolescence, quand vous noircissiez des pages entières pour J., R. ou C., disséquant sans lassitude vos éternels atermoiements ou un roman de Marguerite Duras ou une chanson de Dominique A., vous pouvez choisir de cuisiner des rougets que vous avez achetés parce que quand même, c'est tellement joli.


Selon les disponibilités, vous glissez autant de feuilles de basilic ou de brin de thym-citron que possible dans leur abdomen (ou alors, vous préférez les filets, auquel cas, il s'agit de faire un sandwich de rouget au basilic). Vous pouvez aussi introduire une rondelle de citron. Vous enveloppez les rougets dans une très fine tranche de poitrine fumée. Vous réservez.
Dans un plat, vous coupez des tomates cerises en deux et une ou deux échalotes en tout petits morceaux. Vous versez un peu de sirop d'érable, vous salez juste un peu, vous poivrez, vous parsemez de basilic (sauf si vous avez opté pour le thym-citron), vous versez un filet d'huile d'olive et vous mélangez bien. Vous allongez les poissons au milieu des tomates et vous enfournez environ 20 minutes à 180°.

16 Comments:

Anonymous Anonyme said...

J'adore ce billet ! ces correspondances adolescentes, je les trouvais si importantes, sans prévoir qu'elles s'épuiseraient un jour, au moment où chacun choisit sa voie, études, mariage, et où cette amitié un peu artificielle n'a plus de raison d'être... Les correspondantes dont j'attendais les lettres avec le plus de ferveur étaient belge et allemande (et j'ai rencontré cette dernière, c'était amusant).

21 juin, 2008 15:45  
Anonymous Anonyme said...

Et la chanson qui va avec tout ça, elle est où? !

Je me souviens d'Heather, une américaine, en seconde ou en troisième, on s'est écrit qu'une fois, sans doute parce que je lui avais envoyé la liste de ses erreurs de français (ça s'appelle la vocation, ça, ma petite dame!).

21 juin, 2008 15:46  
Anonymous Anonyme said...

Ce billet me rappelle tant de choses, j'ai eu énormément de correspondantes: roumaine, mexicaine, américaine, allemande of course et là nous sommes devenues amies pour la vie ;-)
Elle vient d'avoir une petite fille :-)
Je reçois des lettres de russie, de pologne ou d'allemagne et j'ai un réflexe assez bizarre: je les sens ! Car elles ont toujours une odeur très particulière!
Tes rougets me parlent énormément aussi/ Bises et à bientôt, hâte de pouvoir m'attarder à nouveau ici et ailleurs,

Lisanka

21 juin, 2008 15:54  
Anonymous Anonyme said...

Je me souviens de Dan, un correspondant roumain. Je ne me souviens plus exactement de comment j'avais été mise en contact avec lui.
Il faisait partie de l'équipe de volley de son université et m'envoyait des photos en noir et blanc.

C'est de Russie que je te lis et je t'embrasse.

G.

22 juin, 2008 08:10  
Blogger Natalia Kriskova said...

Ces rougets sentent l'été méditerranéen...
J'aime bien ton évocation des correspondances enfantines et adolescentes. J'ai eu une (non, deux) correspondantes allemandes dont j'ai totalement oublié le prénom (c'est grave, à mon âge...) et qui m'écrivaient aussi sur un papier recyclé, avec cette écriture typique dont tu parles. Au fond, le geste était plus important que le contenu...

22 juin, 2008 08:52  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Il y a eu Thomas l'Autrichien, Katrin l'Allemande (rencontrés lors de voyages scolaires), Emma l'Anglaise, et puis une Brésilienne dont j'ai oublié le prénom. J'adorais ce moment où j'ouvrais l'enveloppe pour y découvrir le papier à lettres, le stylo et l'encre utilisés, l'écriture, les petits bonus... J'aimais particulièrement les enveloppes de Katrin, qui recyclait des images/photos découpées dans des magazines. C'était très artistique.

Tes rougets seront bientôt sur notre table :-)

22 juin, 2008 11:32  
Blogger (les chéchés) said...

je n'ai eut que des correspondantes que je voyais en vrai... des correspondantes allemandes (merci l'alsace...)qui m'écrivaient aussi sur du papier recyclé, des R un peu particuliers, plein de petits autocollants. j'ai eu du mal à écrire à ces personnes que je connaissais si peu...
ta recette est très belle, j'adore les rougets glissés au four sur un petit lit de légumes... ça me fait tout chaud rien que d'y penser...
merci!

23 juin, 2008 08:36  
Anonymous Anonyme said...

beau et parfulé ce plat a la saveur de nos premiers étés

25 juin, 2008 10:16  
Blogger betterave.urbaine said...

Ah que de souvenirs, les correspondant/es... je me demande si ça existe encore, cet usage désuet du courrier à un inconnu pour initier les enfants à d'autres cultures et leur donner envie d'écrire...
J'adorais recevoir une nouvelle lettre, les jolis papiers, il doit encore me rester du papier à fleurs ou à Mickeys.
Je me souviens de deux Tessinois qui nous avaient enregistré une cassette, à mon amie d'enfance et moi, et je crois bien que nous aussi.
Rougets lardés, miam, que ça fait envie. Merci pour ces jolis souvenirs.

25 juin, 2008 11:33  
Anonymous Anonyme said...

que de souvenirs, qui remontent déjà (helas) à la moitié de ma vie... pas d'exotisme pour moi, que des correspondants en france (colos obligent) mais qu'est ce que c'est doux cette nostalgie qui me gagne quand il m'arrive de relire les lettres conservées dans une boite en cartons...

25 juin, 2008 23:06  
Blogger patoumi said...

Rose: c'est très difficile quand même de garder un lien avec des gens avec qui on ne peut pas partager les anecdotes du quotidien. Je m'appliquais souvent à doner une vue d'ensemble de ce qui m'arrivait, et ça, ça ne peut pas être très interessant (surtout vu mon penchant pour les détails)
Grand Chef: alors à vrai dire, j'ai écrit ce billet en quatrième vitesse à l'heure du déjeuner à l'hôpital et là bas, on peut pas avoir de musique sur internet et puis de toute façon, j'arrive pas à choisir parce que le tout n'est déjà pas très cohérent et en plus ça ne va pas avec le titre. Bref.
Lisanka: ah oui, l'odeur! C'est très vrai.
Eva: baisers et pensées+++
Natalia: oui, j'adore cette idée que quelqu'un a passé du temps à s'adresser à moi. J'adore écouter les histoires des gens.
Mingou: je suis une adepte des enveloppes bricolées hé hé.
Les chéchés: avoir chaud dedans c'est très important.
Diane: et en plus c'est bon!
Betterave urbaine (quel joli nom!): il me reste une unique et précieuse feuille de papier rose avec une minnie qui porte des lunettes de soleil en forme de coeur. Hum.
Mirabelle: j'adore mettre le nez dans mes vieilles enveloppes, c'est beau et que de souvenirs!

25 juin, 2008 23:57  
Blogger Gracianne said...

Genial ce billet sur les correspondants, et nos premiers voyages immobiles. On n'avait souvent pas grand chose a se reconter, on parlait du temps qu'il faisait, mais c'etait bien, et comme dit Lisanka, les enveloppes avaient une odeur particuliere.
Dommage, les mails ne sentent rien.
Super recette au passage, merci!

27 juin, 2008 12:54  
Anonymous Anonyme said...

J'adore aussi ce billet !
Je n'ai jamais eu de chance avec mes correspondants étrangers, dès que je me situais géographiquement (dans un petit village lorrain, loin, très loin de Paris...), je n'avais plus de réponse !
Merci pour les rougets !

30 juin, 2008 20:19  
Anonymous Anonyme said...

Merci pour cette recette =) !

07 juillet, 2008 17:16  
Anonymous Anonyme said...

hummmm,un délice!!

08 octobre, 2008 04:53  
Anonymous Anonyme said...

un billet tres sympa avec une recette excellente

22 janvier, 2009 04:18  

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